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L’encyclo et la norme

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Je ne sais pas si vous vous êtes déjà amusé⋅e⋅s à consulter des dictionnaires un peu anciens en entrant les mots du sexe pour voir ce qui sort. Il y a quelques années, j’avais sur mon ordinateur une super appli « Littré » (1863-1877), que j’avais téléchargée en classe, et qui me permettait de ne pas me sentir trop bête quand je ne comprenais pas un mot dans un texte, ou plus simplement de passer le temps quand un cours se faisait long. Les dictionnaires, semble-t-il, donnent une définition objective de tous les mots le plus courants. Tous? Il suffit de quelques recherches pour mettre en valeur la dimension éminemment idéologique de ces ouvrages:

sodomie: péché contre nature.

se prostituer: se livrer à l’impudicité.

pute: femme de mauvaise vie.

érection: action par laquelle certaines parties molles se redressent.

vierge: jeune fille intacte de tout commerce avec un homme.

Donc un dictionnaire ou une encyclopédie, même rangé(e) par ordre alphabétique, ce n’est pas vraiment un texte neutre. Ce n’est pas bien grave en soi.

Mais depuis quelques années fleurissent de gros livres illustrés qui se présentent sous la forme de dictionnaires ou d’encyclopédie, avec un classement thématique par ordre alphabétique, destiné aux adolescent⋅e⋅s, et surtout de fait aux adolescentes. Mme Déjantée relevait il y a trois ans les erreurs et discours réactionnaires du Dico des Filles, ouvrage publié par Fleurus. Beaucoup de commentaires recommandaient alors de se tourner vers L’Encyclo des Filles, son principal concurrent sur le marché français. J’ai eu l’occasion d’avoir cet ouvrage entre les mains, et j’en ai profité pour jeter un coup d’œil.

Beaucoup de thèmes sont traités plutôt correctement, et l’ampleur du travail de l’autrice est évident. En tant que féministe, je me suis forcément surtout attardée sur les entrées relative au corps, à la sexualité et aux relations de genre. Je propose de le commenter pour donner à celleux qui souhaiteraient l’acheter une idée de la teneur politique de son contenu (ma lecture n’est pas neutre politiquement, mais même si les problèmes mentionnés n’en sont pas pour vous, au moins vous saurez à quoi vous en tenir).

I. Un certain féminisme, féminisme incertain

Sur les entrées qui posaient réellement problème dans le Dico des Filles, il faut être honnête, c’est mieux. Pour autant, cet ouvrage me semble assez représentatif d’un certain féminisme, dans lequel, personnellement, je ne me reconnais pas.

L’entrée « féminisme » commence ainsi par un encart « Veinarde! » qui donne le ton.

Pour toi, jeune fille de France aujourd’hui, c’est une évidence: tues scolarisée, tu envisages quel sera ton métier, tu choisiras de te marier ou pas (et si oui, avec qui), et tu décideras d’avoir des enfants ou non (et si oui, quand)… Or, ce qui sembler aller de soi pour toi ne l’était certainement pas pour ton arrière-grand-mère.

On rappelle que jusqu’à récemment, les femmes avaient très peu de droits, qu’on se demandait si elles avaient une âme, etc. Alors oui, il faut encore se battre mais pourquoi?

Aujourd’hui, dans certains pays, les femmes n’ont encore aucun droit… si ce n’est, par exemple, celui de porter une burka, vêtement-prison qui ne laisse même pas deviner leurs yeux… Même en France, certaines sont assujetties à la domination masculine. C’est inacceptable, mais le combat est difficile à mener, parce qu’il touche souvent à des questions d’identité, de culture et de religion très profondes. Cela dit, tu t’en doutes: nous autres, femmes occidentales, ne sommes pas les plus mal loties… Pourtant, les féministes s’activent toujours, car il reste des combats à penser – lois à faire voter et mentalités à changer: en termes d’égalité de salaires ou… de répartition des tâches ménagères!

Le passage des femmes afghanes à « certaines » en France est suffisamment clair: il s’agit d’expliquer que la domination masculine en France est le résidu culturel de minorités religieuses, plutôt dans les banlieues. Il me semble que ce paragraphe distingue « la domination masculine », qui ne toucherait que certaines, et la situation des « femmes occidentales »: à cet égard, l’inégalité de salaire ou le travail domestique ne sont pas intégrés à l’analyse de la domination masculine, ce qui est très problématique. L’entrée « Travail des femmes » explique ainsi les inégalités de salaire par le simple fait que les femmes portent et élèvent leurs enfants, sans jamais questionner cette organisation sociale et économique (on suggère timidement que ça pourrait être mieux si les pères aussi s’occupaient de leurs enfants).

Une autre entrée, « injustice », propose une distinction que je trouve assez bancale entre « injustice » et « inégalité », pour éviter la victimisation de celleux qui subissent des inégalités. Le propos est plus général que le cadre des inégalités de genre:

La confusion des « in-« 

Dans notre société, qui a tendance à rendre héroïques toutes les victimes, et où il faut des coupables à tout, on a tendance à confondre, « in-« -et « in »-« : on voudrait faire passer des inégalités pour des injustices. Même si l’intention est louable, la conséquence est pernicieuse: si on croit qu’on est victime d’une injustice (alors qu’il s’agit d’une inégalité), on ressent de la colère, de la haine, voire de la culpabilité – parce qu’on s’est laissé faire (alors qu’on n’y peut rien).

Honnêtement, je ne comprends pas très bien de quoi parle ce passage puisqu’il ne donne pas d’exemple, mais je retiens l’idée qu’il est vain de se mettre en colère contre des inégalités puisqu’il n’est pas toujours possible d’identifier des coupables (ce qui est vrai, en revanche on peut identifier des mécanismes et des privilégiés par exemple); voire que les inégalités ne sont pas injustes. J’aimerais bien dans ce cas que l’autrice prenne la peine d’expliquer en quoi les inégalités sont justes.

La segmentation de la domination masculine empêche une analyse précise de son fonctionnement comme système, et rejette la « vraie domination » dans des cultures minoritaires essentialisées: ne demeurent que des petits problèmes (les salaires, les tâches ménagères) qu’il ne faudrait pas interpréter comme le signe d’une domination masculine persistante en France.

On retrouve cette opposition dans une autre entrée, « clitoris », binaire et essentialiste (« l’Afrique » -> non):

aujourd’hui, dans presque toute l’Afrique des millions de femmes sont excisées: on leur enlève le clitoris. Cette mutilation atroce est illégale dans la majorité des pays du monde. En Occident, heureusement, le clito a droit de cité.

Ce passage est suivi d’une précision, « refuser la guerre des sexes », au cas où l’adolescente qui lirait ce livre voudrait embrasser la cause féministe et verser dans la misandrie:

Reste qu’un des problèmes du féminisme ce sont… les hommes. Et ça, c’est vraiment un très gros souci, car la guerre des sexes n’est pas une solution… Ni pour eux ni pour nous.

Les renvois multiples dans l’ouvrage à Ni putes ni soumises ou au discours d’Emma Watson me semblent assez significatives: la vision du féminisme qui est proposée est à la fois dépolitisée (il ne faudrait pas devenir une sale misandre) et excessivement culturaliste, voire raciste, dans le choix de ne placer la domination masculine que dans certaines identités profondément ancrées de certaines populations en France.

De même, l’article « sexisme » commence en ces termes:

Dans certains établissements, les filles ne peuvent pas se mettre en jupe, en robe ou en chemisier. Et, à moins d’adopter un look de garçon manqué, elles n’ont pas la paix.

C’est fou, ça me rappelle l’Assemblée nationale… Mais l’encart sur Ni Putes Ni Soumises et sur les « quartiers » précise ce qui ce cache derrière ce « certains ». Pour lutter contre le sexisme, l’autrice donne une liste de répliques humoristiques à utiliser en cas de blague, pique, remarques salaces ou agression sexuelle. On retrouve l’idée dans « Garçon manqué »:

C’est ignoble: dans certains établissements scolaires, les filles sont obligées de se vêtir à la garçonne. Pour avoir la paix et éviter les pressions des garçons. Si, d’aventure, elles osent porter une jupe, elles le savent, elles seront immédiatement traitées comme des objets, voire insultées. La féminité n’est pas une tare. Vouloir être jolie et séduisante est la chose la plus normale chez une femme. Et c’est tant mieux. Qu’au XXIè siècle des garçons arriérés les en empêchent est aussi atterrant qu’épouvantable.

On n’est pas à une contradiction près: l’entrée « pudeur » indique qu’il n’y a « ni normes ni règles », mais l’entrée « voile » n’a pas peur d’avancer:

Il est quand même bon de la rappeler: une femme voilée n’est pas une femme libérée… et, pour ma part, je haïrais en porter.

II. Sélection d’un lectorat blanc et hétérosexuel et dépolitisation des oppressions

1. La construction d’un lectorat blanc et la dépolitisation du racisme

Cela s’accompagne dans l’ouvrage, à mon avis involontairement, de la construction d’un lectorat blanc. Cela me paraît particulièrement dans l’article « bronzer », formulé en ces termes:

Sécrétée par les cellules de la peau, c’est grâce à [la mélanine] que tu prends, plus ou moins, une jolie couleur dorée en été. […] C’est encore grâce à ce pigment que les Noirs doivent la couleur de leur peau. Soit dit en bronzant, que tu aies la couleur du chocolat ou du café au lait, ça n’est pas une raison pour ne pas te protéger.

L’autrice commence par présupposer une interlocutrice à la peau blanche, susceptible de prendre une « jolie couleur dorée », puis parle des Noirs à la troisième personne, avant de se reprendre, avec deux périphrases franchement dérangeantes, qui réintroduisent la possibilité d’une lectrice qui ait une peau mate ou noire, mais sur le mode d’une exception à la norme.

En outre, la plupart des entrées qui concernent le physique (coiffure, etc.) insistent sur la possibilité d’une beauté naturelle, mais justement, les canons de beauté mentionnés semblent très proches d’une valorisation de la blanchité. Certes, il y a un effort notable de la part de Catel pour ne pas représenter que des jeunes filles blanches dans ses illustrations, mais les conseils cosmétiques s’adressent en général à des jeunes filles blanches, et des adolescentes noires n’y trouveront pas de réponses.

Fear… leads to the dark side

Le problème devient plus clair quand l’autrice aborde la question du racisme. Vous me direz que le problème n’est pas particulièrement original, et c’est vrai: c’est toutes les stratégies de sensibilisation institutionnelle au racisme (et non de sensibilisation au racisme institutionnel) qui se présentent ainsi.

La racisme est présenté en ces termes:

Le racisme est le sentiment de supériorité et d’hostilité qu’éprouve un groupe d’hommes vis-à-vis d’un autre. C’est un terrible fléau: né de la peur, il engendre l’injustice (toujours), la haine (souvent) et la violence (parfois)

Comment lutter contre le racisme: « il faut s’armer de raison et de lucidité, plus que de cœur ou de générosité. Il faut accepter d’aller voir jusqu’au fond de l’humain et d’y affronter ses faiblesses ». Qu’y a-t-il au fond de l’humain? La PEUR de la différence.

Le plus gros problème de cet article est de poser implicitement comme équivalence le fait de subir le racisme et le fait d’avoir « deux cultures », et ça c’est difficile. L’article ne précise pas si, par hasard il ne serait pas plus facile d’avoir deux cultures dans certains cas par rapport à d’autres. L’autrice complète son propos:

Peut s’ajouter à ces interrogations culturelles le fait d’avoir une autre couleur de peau – encore une différence avec laquelle il faut vivre.

J’en déduis que: (1) être blanc alors qu’il y a des gens noirs, ça n’est pas facile. (2) si ce n’est pas cela, c’est donc qu’avoir une « autre couleur de peau », c’est n’être pas blanc. (3) qu’on ne peut pas subir le racisme uniquement à cause de la couleur de sa peau sans avoir des « interrogations culturelles » ou « deux cultures ».

Le racisme est donc analysé comme l’effet d’une peur fondée sur une différence objective. Je ne pense pas qu’on puisse aller plus loin dans la dépolitisation. L’autrice invite par ailleurs gentiment les racisé-e-s à savoir d’où ils viennent pour construire leur identité (le sujet, c’est le racisme). Pour ne pas être raciste, « il faut se sentir fort » pour « accueillir l’autre avec sa différence », et même (on ne parle pas de racisme anti-blanc, mais nous ne sommes pas loin):

demande conseil à une amie en qui tu as confiance, ou, mieux à une personne dont la culture d’origine est différente de la tienne, afin qu’elle te raconte, elle aussi, contre lesquels de ses préjugés elle doit batailler.

La solution au racisme, en gros, c’est un peu ça: Tchang pense que les Blancs ne sont pas gentils. Mais non Tchang, on est tous bêtes un peu parfois, exorcisons cela par le rire:

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D’ailleurs, le racisme a une solution simple: la con-fiance-en-soi. L’entrée « origine » se veut rassurante: la diversité c’est une RICHESSE:

De toute façon on est tous, même si c’est plus ou moins, mélangés. La plupart d’entre nous des melting-pots. C’est bien ainsi: s’il était possible que nous soyons tous semblables, venant du même pays pays et riches de la même culture, on s’ennuierait énormément – et je n’aurais jamais appris à faire le couscous ou le guacamole.

2. Une hétéronormativité omniprésente

Traitement de l’homosexualité et de la bisexualité

Une des choses qui me choque le plus dans cet ouvrage, c’est le traitement de l’homosexualité et de la bisexualité. Il y a une entrée « homosexuelle & bisexuelle », mais il s’agit de la seule mention dans l’ouvrage, à l’exception d’un encart qui rappelle dans un passage consacré aux IST qu’on peut être aussi être concernée quand on a des relations sexuelles avec une autre fille. C’est donc dans une entrée spécifique qu’il faut chercher des informations. Malheureusement, à l’intérieur de cette entrée, sur deux pages, le seul passage qui s’adresse réellement aux jeunes filles lesbennes est un encadré qui occupe un quart de page:

Quand on en est sûre

Pour certaines, l’interrogation s’est faite évidence depuis belle lurette: elles savent depuis qu’elles sont toutes petites qu’elles aiment les filles. Aujourd’hui, l’homosexualité est de mieux en mieux acceptée dans la société. Heureusement… Parce qu’il est reste quand même difficile de se sentir différente des autres à un « endroit » de sa personnalité très profond et intime: la sexualité. S’accepter en tant qu’homosexuelle est forcément un peu plus long, plus compliqué. Sans compter qu’ensuite, il faut le faire accepter aux autres. […]

Je trouve cela vraiment très embêtant de réduire la question de l’homosexualité au fait de « se sentir différente des autres », à une différence qui ferait qu’il est difficile de « s’accepter ». La différence ne préexiste pas, elle est construite, a fortiori quand on parcourt les pages d’un ouvrage dans lequel 600 pages à l’exception de cet encadré présupposent que l’amour, ça se passe entre un garçon et une fille. L’autrice refuse l’analyse politique, et il faudrait attendre de l’évolution graduelle de la société le droit d’être homosexuelle sans subir de désagrément (sans mentionner les discriminations et violences, qui ne sont tout simplement pas mentionnées).

Le reste de la double page consiste à rassurer des adolescentes: c’est tout à fait normal de se questionner à cet âge, mais ça ne veut pas dire qu’on est lesbienne (OUF!). De la même façon, ce n’est pas parce qu’on n’est pas attirée pour l’instant par les garçons qu’on est lesbienne:

la plupart [des lesbiennes] ont carrément du dégoût pour le sexe opposé. Simplement tu es sans doute plus mûre que tes copains, tu attends peut-être le grand amour, le prince charmant. Ou bien, plus simplement encore, tu peux avoir envie d’attentions, de douceurs et de mots d’amour, autant de choses féminines que les adolescents ont justement du mal à donner.

Comme si être attirée par des femmes parce qu’on recherche de la douceur et de l’attention, ça vous empêchait d’être lesbienne ou bisexuelle « pour de vrai »…

S’ajoute à cela un paragraphe sur « du masculin et du féminin en chacune… et en chacun », dont on se demande quel rapport il entretient avec la choucroute. J’y reviendrai.

L’hétérosexualité comme norme

L’entrée « Aimer » commence par poser la question: « comment (sa)voir si un garçon est amoureux de toi? ».

L’entrée « Amour physique » présuppose non seulement que l’amour physique est hétérosexuel, mais décrit aussi un coït où l’homme est présenté comme actif – il pénètre – et la femme passive (enfin elle peut accompagner):

Tout en explorant le corps de l’autre, l’homme et la femme découvrent leur propre corps. […] Ensuite l’homme introduit son sexe dans le vagin de sa partenaire. […] Une fois qu’il a pénétré la femme, l’homme imprime des mouvements de va-et-vient à l’intérieur de son vagin.

Quelques lignes plus loin, on lit « zéro loi et aucune règle ».

On note que le coït comme pénétration d’un vagin par un pénis est détaillé dans l’article « amour physique », avec les caresses, alors qu’on a par ailleurs une entrée « pratiques sexuelles » (l’introduction est claire: certaines pratiques sexuelles ne visent pas à la reproduction de l’espèce).

On parlera donc de sexualité non-reproductive plusieurs centaines de pages plus loin que l’amour physique. Alors bien sûr, respect, le droit de dire non, tout ça (ce qui n’est pas précisé pour le coït). Toutes ces pratiques sexuelles sont présentées dans le cas de rapports hétérosexuels: fellation (« une fille ne peut pas en jouir. Pour cette raison, c’est un don de soi »; à ma connaissance un mec qui en fait une non plus); cunnilingus (« de nombreux garçons en sont très excités »); sodomie (« l’homme  introduit son sexe, non pas dans le vagin de sa partenaire, mais dans son anus ») – nous ne parlerons pas de prostate aujourd’hui apparemment.

L’autrice précise trois lignes plus loin « car justement, il n’y a pas de norme. En matière de sexe comme ailleurs… ». Je suis persuadée qu’elle le pense vraiment: mais est-ce qu’elle se rend compte deux secondes du nombre de normes que véhiculent ses propos?

« Première fois »: l’autrice distingue « [¢elles qui]  font l’amour avec un garçon dont elles ne savent pas grand-chose, qu’elles n’aiment pas vraiment, histoire que « ça » soit fait « , et « [celles qui] souhaitent faire l’amour avec un garçon qu’elles aiment à la folie et lui faire cadeau de leur virginité ». Les deux possibilités semblent également respectables (que croyez-vous, on n’est pas chez Fleurus, tout de même!), mais il n’est apparemment pas envisageable d’avoir sa première relation sexuelle avec une fille. Sélection_001

L’entrée parle de pénis dans un vagin, et conseille le missionnaire à l’homme et la femme. « Pour toutes les filles du monde », le « premier acte d’amour » est aussi « un événement qui fait de toi une femme » (mais à l’entrée « virginité », l’autrice charge les parents obsédés par la virginité de leur fille). Dans une autre intention que Wittig, on rappelle bien que la lesbienne n’est pas une femme.

Il y a aussi une entrée « Prince charmant »: attention, c’est un stéréotype, un idéal, mais une chose est sûre ce n’est pas une princesse.

3. Une dépolitisation généralisée des oppressions

Comme pour la question du racisme, les injures homophobes sont totalement dépolitisées dans l’entrée « injures »: l’autrice explique que les injures à l’adolescence s’explique par le fait « qu’à l’adolescence on se pose énormément de question, et particulièrement dans ces trois domaines: l’origine, la sexualité, la normalité. Avec cet argument choc: celui ou celle qui utilise la violence verbale, c’est qu’il ou elle n’est pas tout à fait à l’aise avec sa propre identité – il fait ça pour se rassurer (et même tiens, il serait pas un peu homo dit?).

Bref, la peur de la différence

Enfin, il est bien normal que dans ce champ de points d’interrogation, on ait peur de n’être pas dans la norme. Différente et originale, d’accord, mais pas trop…. Autrement dit, les injures ne tombent pas tout à fait au hasard… Tu remarqueras qu’elles t’en apprennent bien plus sur la personne qui les envoie que sur celle qui les reçoit!

Cette façon de considérer que la normalité et la différence sont des notions évidentes, que l’on peut poser a priori pour expliquer aux adolescentes les violences qu’elles subissent est vraiment dérangeante:

Sexualité

Ensuite, c’est la découverte de la sexualité, et de la sienne en particulier. On a peur d’en faire trop. Ou pas assez. L’orientation sexuelle peut d’ailleurs tâtonner: on peut être un peu attirée par quelqu’un du même sexe que soi. Quelle qu’en soit l’issue, cette affaire a tendance à angoisser.

Bref, la violence verbale qui vise l’origine ou la sexualité n’est pas une affaire de racisme, d’homophobie ou de sexisme, un rapport entre une personne qui a le privilège d’être dans la norme, et une autre qui subit une oppression; l’explication est la même pour l’agresseur et l’agressé-e : à l’adolescence, on se pose plein de questions, on a peur d’être différent et c’est facile pour personne! Je précise que ce développement était précédé de cette intention: « quand on connaît les mécanismes d’une souffrance, ça fait toujours un peu moins mal ».

On retrouve le même fonctionnement dans l’entrée « machisme »:

Explications: comme beaucoup d’adolescents, les jeunes machos traversent une crise identitaire, c’est-à-dire qu’ils ne savent plus bien qui ils sont; du coup, ils ont besoin de se raccrocher à des stéréotypes: celui du gros mâle (si possible velu) qui dit des vulgarités aux filles. Le macho de ta classe, sûr qu’il aimerait vous embrasser, toi et tes copines! Mais, trop peu sûr de sa virilité, il manque bien trop d’assurance pour ça. Alors il en rajoute. Non pas que ça ça l’excuse, absolument pas.

J’avoue qu’à ce niveau-là, je n’excuse pas le macho, mais je verserais presque des larmes sur son malheur et sa virilité incertaine. Il semble qu’on devrait être flattées en un sens puisqu’on lui plaît. Je me demande ce qu’on fait de ce raisonnement lorsque le macho a suffisamment d’assurance pour vous embrasser pour de vrai, sans vous demander votre avis.

Le contrôle par les pères de la sexualité de leur fille fait plus ou moins l’objet du même traitement:

« Pape et les garçons »: aïe, aïe, aïe

Côté sentiments, il faut se rendre compte que l’adolescence de sa fille peut être assez perturbante pour un « papa ». Il a peur de te perdre et, même si ne le montre pas, il n’est pas forcément content que sois amoureuse d’un autre que lui! Nulle ambiguïté: c’est juste qu’on reste la chérie de son père pour toujours! Chic.

Ni sexisme, ni domination adulte, ni possessivité: juste un sentiment tout naturel du père qui voudrait que sa fille n’aime que lui. Honnêtement je trouve cette présentation beaucoup plus angoissante qu’un discours simple sur les représentations sexistes de la pureté de la jeune fille et les rapports de pouvoir au sein de la famille.

III. Injonctions très contradictoires

1. Beaucoup de normes derrière un discours qui tente de « rassurer »

Le gros paradoxe de cet ouvrage, c’est que c’est à la fois une série d’injonctions à ne pas trop en faire pour être féminine, à savoir rester naturelle, et une série de normes sur la féminité.

Tu fais ce que tu veux de tes poils mais les poils c’est moche

Un exemple sur l’épilation: à l’article « jambes », au passage:

Et, bien sûr, à partir d’un certain âge, n’oublie pas de t’épiler : les poils, ça alourdit le galbe!

On rassure sur le fait que les poils autour des seins ou entre les fesses, ce n’est pas anormal (ouf!), mais à l’entrée « Poils », on commence par poser « ça nous agace toutes d’être parentes des guenons » et les poils sont qualifiés de « résidu de fourrure ». Jamais la question du genre n’est interrogée. L’autrice nous rassure sur le fait que nous sommes probablement les seules à voir les deux trois poils qui nous restent sur les jambes, mais:

n’oublie pas le dessus des pieds et les doigts de pied: on a quasiment toutes des poils à cet endroit-là et ça n’est pas follement sexy, surtout en été, quand on exhibe ses petons dans des sandales toutes fines.

On croise entre autres injonctions: « le sourire est le seule accessoire indispensable et gratuit », « tiens-toi toujours très droite », « une coiffure brune ultra-courte n’ira sans doute pas à une fille grande et large; ça risquerait de la rendre peu gracieuse », « jolies jambes et belle démarche sont indissociables », etc.

Arrêtez de flipper sur votre poids mais si vous êtes en surpoids il serait temps de flipper

Le meilleur exemple est probablement celui du poids: il y a le problème des illustrations pour commencer.

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Si l’on excepte deux personnages féminins en surpoids dessinés par Catel sous les traits d’un hamster et d’un éléphant, la seule image d’une femme grosse dans l’Encyclo est une photo de Beth Ditto, dans l’entrée gothique, légendée « une gothique bonne vivante », bonne vivante étant une périphrase pour grosse qui suppose que Beth Ditto est grosse parce qu’elle aime manger et qu’elle aime la vie (alors qu’on n’en sait strictement rien). Il aurait été plus juste de reproduire la propre définition que Beth Ditto donne d’elle-même: « a fat, feminist lesbian from Arkansas ».

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L’entrée « grosse » consiste à rassurer les jeunes filles: beaucoup de jeunes filles se trouvent grosses alors qu’elles ne le sont pas; elle incite donc les filles à calculer leur IMC pour savoir si elles sont « médicalement grosses ». Si c’était le cas:

prends un rendez-vous avec un médecin nutritionniste qui verra avec toi les raisons de ton embonpoint et les mesures à prendre pour y remédier.

Donc nous voilà rassurées, il y a bien des raisons de se trouver grosses, et lorsqu’on l’est, il faut réagir de toute urgence (en vrai: NON). De même, à l’entrée « poids », on lit qu’il n’y a pas de bon poids, de poids idéal, que celui-ci varie en fonction de chacune, mais elle précise « s’en préoccuper quand même… un petit peu ».

Les excès sont faciles à repérer; comme toujours, c’est finalement quand on est dans la norme qu’on a tendance à se faire le plus de souci.

Le problème est que tout cela laisse quand même sur le carreau environ 15% à 20% de jeunes filles à qui l’autrice vient d’expliquer que leur corps n’était pas normal.

Donc il ne faut pas être obsédée par son poids et éviter les régimes sauvage, mais l’autrice conseille pour celles qui mangeraient trop d’utiliser une assiette à dessert pour avoir l’illusion que la nourriture remplit l’assiette.

De la même façon, pour avoir de belles fesses – mais il ne faut être obsédée par son corps – il suffit d’y penser tout le temps, quand on n’a rien d’autre à faire:

Pense régulièrement à serrer les fesses (au sens propre), c’est-à-dire à contracter les nombreux muscles « fessiers ». Et ce, dès que tu le peux: en attendant l’autobus, en surveillant la cuisson des coquillettes, en faisant la queue à la cantine, bref, quand tu n’as rien d’autres à faire.

Le tout sur fond de dénonciation du diktat de la maigreur chez les mannequins et dans les médias… Rien en revanche sur le stigma du surpoids, sur la grossophobie, sur les stéréotypes attachées aux personnes en surpoids et le mépris dont elles font l’objet – ce doit être comme le reste, ce n’est pas facile de vivre avec sa différence, mais il faut comprendre les autres qui ont du mal à l’accepter. Rien non plus sur l’écart entre le discours associant  surpoids et mauvaise santé et l’état des connaissances sur les risques réels et précis liés au surpoids. Et pourtant, les pages consacrées au sujet du poids ne manquent pas!

2. Ne pas toujours être dans la séduction mais un peu quand même

Par exemple, cet encart dans l’entrée « cigarette »:

La cigarette, championne de l’antiséduction…

Pour faire fuir les garçons, le tabac c’est imparable: peau vieillie, mauvaise haleine et dents jaunies.

De la même façon, ce n’est pas si grave d’être petite:

Dis-toi enfin que les garçons sont souvent attirés par les femmes petites: elles flattent leur virilité sans les intimider. Sois mignonne, câline, délicate. N’hésite pas à jouer au petit chat. Et sors tes griffes quand il le faut.

Si comme moi vous faites 1m58, prenez soin de ne pas EN PLUS être une grande gueule ou de l’ouvrir quand on vous marche sur les pieds.

La beauté intérieure, c’est bien mais boys will be boys:

Les garçons sont comme ils sont. Et, autant te faire une raison: pour capter l’attention, un chemisier sexy sera toujours plus efficace qu’un mot d’esprit.

3. Fais ce que tu veux mais ne sois pas une salope

Un des gros problèmes de cette Encyclo est la production d’un type-repoussoir, « l’allumeuse », qui possède sa propre entrée, et verse franchement dans le slut-shaming. Je mets la photo pour que ce soit plus clair:

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La définition même pose problème: « c’est une fille qui veut plaire et qui fait tout pour ça ». Est-ce qu’on parle de vêtements sexy, de recherche de la compagnie des garçons, de langage verbal et non-verbal de séduction, ou encore d’une fille qui change souvent de copain ou qui a plusieurs partenaires? Elle est décrite comme aguicheuse, provocante (ce qui ne veut rien dire), admirée et courtisée par les garçons (ça peut arriver); elle est « vulgaire » (ça ne veut toujours rien dire) et pense que son apparence suffit. Ce type sert à parler des injonctions à être séduisante dans les médias (on pourrait parler des dicos de filles…), et l’autrice finit par conclure qu’on peut cultiver sa beauté intérieure et sa personnalité, tout en empruntant quelques trucs aux allumeuses (qui elles n’ont pas d’intériorité, et existent seulement pas le regard des autres…): autrement dit, pour séduire, être salope mais pas trop.

Un autre type est proposé par L’Encyclo: la « lolita » (avec toujours le même contresens sur le roman), qui est en gros la même que l’allumeuse mais en plus jeune et sans sortir avec les hommes âgés qu’elle séduit.

On retrouve cette idée dans l’entrée « séduire »: la séduction c’est « une force de vie », mais aussi « un travers de société » qui incite les femmes à offrir leur chair à n’importe qui.

On arrive finalement à une définition de la vulgarité: c’est « se faire remarquer », avec trop de maquillage, en étant tape-à-l’oeil, en montrant plutôt qu’en suggérant, et en se donnant un faux style de provocation, comme Miley Cyrus, photo à l’appui. Je ne suis malheureusement toujours pas convaincue.

4. Ton corps t’appartient mais ne provoque pas de violences sexuelles

La tentative de contrôler l’apparence des jeunes sous couvert de grandes déclarations de liberté de poser soi-même ses limites commence à poser de sérieux problèmes quand ce discours se transforme en menace de violence sexistes ou sexuelles.

D’un côté on trouve le discours attendu sur les violences sexuelles:

  • sur les attouchements: « notre corps est à nous. Et nous décidons chacune de ce que les autres peuvent faire avec. », « aucune n’est obligée de rien. C’est ainsi: certaines sont plus pudiques que d’autres. », « Ta pudeur, c’est toi, et toi seule, qui en marques les limites »
  • sur le harcèlement: « c’est la double-peine de la victime: elle s’en veut alors qu’elle n’y est pour rien ».

Les informations sur le viol sont globalement juste, mais on reste dans le scénario-type (implicitement): on n’explique pas ce que c’est qu’un viol. On décrit de plus une série unique de conséquences pour les survivant-e-s. On lit que le viol est un acte sexuel non consenti, mais le notion de consentement n’est jamais explicitée dans l’ouvrage. L’entrée « viol » insiste sur le fait qu’il s’agit d’une « violence absolue », qui entraîne une « personnalité brisée » etc.

Mais à côté, par exemple dans l’entrée « sous-vêtements », on trouves des affirmations du type:

Mais il faut toujours que tu aies à l’esprit que montre ses dessous est un acte séducteur, suggestif et parfois provocant. Un fille qui, par exemple, fait remonter ses seins grâce à un soutien-gorge à balconnets, le tout sous une brassière qui laisse deviner son décolleté, ne devra pas se plaindre que les garçons ne lui parlent pas les yeux dans le yeux.

Ou encore:

Mais il y a dans le string une dimension « sexuelle » que tu ne dois pas ignorer. Autrement dit, si tu fais dépasse ton string de ton pantalon-moulant-taille-basse, attends-toi à ce que les garçons regardent tes fesses… et ne va pas dire qu’ils sont lourds avec leurs regards insistants et leurs remarques grivoises… Si tu dévoiles ton string, c’est normal que les garçons – et les hommes aussi! – réagissent ainsi!

Donc c’est bien la même personne qui déplorait que « dans certaines banlieues » les filles ne pouvaient plus porter de jupes sans se prendre des remarques et qui leur explique maintenant que si leur string dépasse, elles n’ont pas à se plaindre du harcèlement et des remarques sexuelles.

On lit à l’entrée « Cannabis »:

Attention, les filles!

[…] Complètement « déconnectée », on peut alors faire de grosses bêtises. Les filles peuvent spécialement regretter d’avoir fumé un joint dans une soirée: exactement comme lorsqu’elles sont ivres, elle peuvent être facilement amenées par des garçons mal intentionnés à avoir des rapports sexuelles qu’elles ne souhaiteraient pas dans leur état normal.

L’autrice ne précise à aucun moment qu’il s’agit d’un viol. Au contraire, le terme « grosse bêtise » laisse entendre que ce serait de la responsabilité de la jeune fille.

Le discours sur les violences sexuelles, derrière la condamnation ferme qui apparaît à première vue, est donc problématique. Il manque, me semble-t-il, une vraie réflexion sur le consentement: par exemple, dans quel cas est-on en état de consentir? La question de la minorité sexuelle est abordée, mais les propos sur l’alcool et la drogue montrent bien que le sujet n’est pas maîtrisé. De surcroît, si l’autrice rappelle souvent qu’on a le droit de dire « non », elle ne précise jamais que l’absence de consentement – et non le refus – suffit à caractériser les agressions sexuelles.

Ta pudeur, c’est toi, et toi seule, qui en marques les limites. Tu décides de ce qui est permis et de ce qui ne l’est pas. Et tu le fais savoir: c’est le rôle du « non ». « Non, je ne veux pas ». Les mots sont une sorte de barrière. C’est très difficile parfois de savoir dire non. on n’ose pas,on a peur de se faire remarquer […]

Cela laisse entendre qu’une victime qui ne parviendrait pas à dire « non » ne pourrait pas se plaindre des attouchements (l’autrice distingue le cas du « garçon de son âge » et de l’adulte).

IV. Une encyclopédie féministe pour ados?

L’Encyclo des filles est un ouvrage vraiment épais et je n’ai pas pu parler de toutes les dimensions, y compris lui rendre justice sur les points que j’estime bien traités. Le problème pour moi, c’est que les meilleurs passages sont souvent contredits par d’autres. Contrairement au Dico des filles, on ne trouve pas trop d’horreurs moralisantes sur la sexualité, mais tout de même: est-ce normal d’essayer de déterminer sur le marché des encyclopédies pour adolescentes lequel est le moins pire? Est-ce qu’on n’a pas le droit de vouloir un peu mieux pour parler de respect, de consentement, de normes, d’oppressions, de corps, etc. à des adolescent-e-s?

Je sais bien que mon regard sur ce livre est personnel, complètement lié à mes opinions politiques. Mais à partir du moment où l’on écrit quelque part que l’homosexualité n’est pas un drame, est-ce qu’il ne serait pas logique de cesser de présumer que les garçons sont les seules personnes pour lesquelles les adolescentes éprouvent de l’attirance? Si le violences sexuelles sont graves, qu’est-ce que ça coûte de faire un vrai travail de pédagogie sur le consentement? Pourquoi parler de sexisme et de luttes féministes à des adolescentes si c’est pour leur dire que l’égalité est plus ou moins acquise et que ce qui demeure provient de la peur des garçons qui ne sont pas assez sûrs de leur virilité?

De très nombreux sujets abordés dans L’Encyclo des filles sont des sujets complexes, politiques, qui nécessitent de s’informer en profondeur. Pour autant, ce n’est pas impossible de synthétiser des informations de façon pédagogique, sans prendre plus de place. Mais encore faut-il prendre la peine de s’informer sur des sujets comme le racisme, le sexisme, … C’est ce qu’on peut exiger d’un livre qui met le terme « encyclopédie » dans son titre.

Les adolescentes attendent plus que des conseils beauté et une liste de vêtements adaptés à leur morphologie. Cet ouvrage semble chercher à rassurer des adolescentes (elles changent, sont en plein questionnement, etc.) et renoncer ainsi à leur présenter une vision de la société un peu plus complexe que « la violence est inhérente à la nature humaine », leur donner des outils pour comprendre, analyser et éventuellement remettre en cause leur position dans la société, qu’il s’agisse du sexisme, de la domination adulte (L’Encyclo des filles leur répète qu’il est nécessaire d’obéir à ses parents et ses professeurs), du racisme, de l’hétérosexisme ou de la grossophobie. Toutes ces questions concernent les adolescentes, et L’Encyclo des filles choisit de leur servir un discours naïf et simpliste qui n’échappe absolument pas aux préjugés qu’elle entend combattre.

Pourquoi ces ouvrages ne rassemblent-ils pas plusieurs auteurs/trices spécialistes des sujets abordés?

Pourquoi écrire encore des ouvrages non-mixtes? (il y existe des ouvrages mixtes, mais ils restent rares). Non seulement les filles ressortiront de cette lecture sans savoir vraiment ce qu’est leur propre consentement, mais elles n’apprennent pas à respecter le consentement des autres, ce sujet n’étant pas mentionné. Si l’adolescence est le moment où l’on découvre enfin les « garçons », ces êtres mystérieux et si différents (…), pourquoi ne pas écrire des ouvrages mixtes qui évoquent la puberté sans laisser ce voile pudique sur le corps de « l’autre sexe »? Si les normes ne sont pas réellement interrogées c’est aussi parce que l’autrice n’a pas à écrire sur le même sujet pour les garçons en même temps…

Que ferais-je si je devais écrire un tel ouvrage? C’est un peu le problème: je serais bien embêtée. Je ne suis pas sûre que des parents seraient prêts à offrir à leur fille un ouvrage qui dirait: « un string? bah, oui, si tu veux. On te dit que c’est vulgaire? mais qu’est-ce que la vulgarité? Ce serait pas du mépris de classe et des normes de féminité, des fois, HEIN? ». Ces livres sont priés de rester à un niveau de subversion raisonnable (c’est normal d’avoir envie de séduire mais il ne faudrait pas être provocante non plus, etc.), qui n’est donc plus subversif du tout. Les parents seraient-ils prêts à acheter un ouvrage qui accorde une place équivalente à des relations hétérosexuelles et à des relations non-hétérosexuelles? Qui parlerait de transidentité? Qui serait honnête sur la violence des normes de genre, et les décrirait en système? Qui dirait aux filles que pour elles, ce sera plus dur, parce qu’elles vivent dans une société sexiste? Qui leur parlerait d’âgisme?

Moi, l’éducation sexuelle à l’école, c’était ça:

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Extrait d’une conférence de Denis Sonet, 2011

Il y avait aussi un super schéma en forme d’escalier pour décrire le développement affectif, ou avant d’arriver au « bon choix », on passait par la relation aux parents, à soi, aux fantasmes, au/à la meilleur⋅e ami⋅e, qui était une étape, mais qui menait à l’homosexualité si l’on ne savait pas la dépasser. Il n’est pas très difficile d’imaginer à quel point j’ai pu être en colère contre ce modèle, qui était essentialiste, sexiste, et conforme à la position de l’Église catholique sur le couple.

Je peux enfoncer des portes ouvertes et constater le progrès. Mais honnêtement, je ne suis pas plus satisfaite par ce que propose un ouvrage beaucoup plus « moderne » comme L’Encyclo des filles. Les informations sont correctes (à quelques erreurs près), mais un ouvrage pour adolescent⋅e⋅s est toujours un choix politique et idéologique. Et je crois que celui-ci ne correspond pas au mien.

 

 



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